Personnages :

Loup, Paysan, Renarde

Genre :

conte animalier

Commentaire :

Un peu déprimant

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Rien ne s’oublie plus vite qu’un service rendu :

Dans une épaisse forêt de la grande Russie, un loup errait, guidé par sa chasse .Il traquait çà et là quelques petits rongeurs et parvenait de temps en temps à festoyer d’un pauvre marcassin ou d’une belle biche. La chasse n’était pas chose facile en ces temps d’hiver où chacun préférait rester caché dans son terrier. Toutefois, ce n’était pas de cette chasse que le loup souffrait tant, mais de celle des hommes et des grandes battues qu’ils organisaient à travers la forêt. Tiens, c’était eux justement qu’il entendait venir ! Le frottement des étoffes que portaient les chasseurs, le pas vif des chevaux qui froissait les feuillages ! Leur souffle puissant et régulier parvenait au museau du loup, lui annonçant qu’il fallait fuir ! Vite ! Il partit alors dans une course effrénée, craignant de voir chaque fois un peu plus les hommes gagner du terrain. Ils l’avaient repéré maintenant, c’était sûr ! Ils le suivaient sans relâche. Soudain, dans sa fuite, le loup emprunta un sentier sur lequel s’avançait un pauvre paysan. L’homme portait un grand sac sur l’épaule et s’appuyait sur un bâton qui lui servait à marcher et à battre le blé. Le loup comprit bien vite qu’une occasion inespérée s’offrait à lui.

Il courut vers le paysan et le supplia : – Je t’en prie, aide-moi ! Les chasseurs sont à mes trousses ! Sois gentil, cache-moi dans le grand sac que tu portes sur le dos ! Le paysan eut pitié du loup et n’hésita pas à le dissimuler aussitôt dans son sac de toile. Il le hissa avec peine sur son dos et reprit sa route. Bientôt les chasseurs gagnèrent le sentier et allèrent questionner l’homme qui marchait avec peine : – Dis-nous l’ami, n’aurais-tu pas vu un loup qui rôdait dans les parages ? – Non, je n’ai rien vu, messieurs, répondit le paysan, tout en continuant son chemin. Les chasseurs observèrent un moment le pauvre homme qui pliait sous le poids du loup. Puis, d’un petit signe de la tête, celui qui menait la traque ordonna de poursuivre les recherches. Les chasseurs disparurent au grand galop et s’enfoncèrent dans les sous-bois. Le paysan attendit que les hommes soient loin pour faire descendre le loup de son dos. Il détacha le lien et rendit la liberté à l’animal : – Te voici hors de danger ! déclara le paysan avec fierté. – Fort bien ! s’écria le loup. Je vais donc pouvoir te manger à mon aise à présent !

L’homme recula et gronda : – Comment ? Je viens de te sauver la vie et c’est ainsi que tu me remercies ? Le loup rit de tous ses crocs et s’exclama : – Rien ne s’oublie plus vite qu’un service rendu ! Le paysan réfléchit un instant et décida d’être plus rusé que le loup. Aussi il lui di t : – Laisse-moi une chance ! Prenons la route ensemble, et, si en chemin, nous rencontrons quelqu’un qui partage le même avis que toi, alors tu pourras me manger. Le loup accepta la proposition du paysan et ils se mirent tous deux en route.

Non loin de là, ils rencontrèrent une jument qui broutait dans une clairière. Le paysan s’approcha d’elle et lui demanda : – Dis-moi jolie jument, peux-tu nous éclairer sur un sujet qui nous taraude ? – Bien évidemment ! De quoi s’agit-il ? – Eh bien, voilà : je viens de sauver la vie de ce pauvre loup pourchassé par les chasseurs. Et pour tout remerciement, il envisage de me manger en toute ingratitude ! Qu’en penses-tu ? Peut-on si vite oublier un service rendu ? – Ma foi ! Je t’a voue que ce raisonnement ne m’étonne pas, soupira la jument. J’étais moi-même, jadis, au service d’un maître pour qui j’ai travaillé durant de nombreuses années. Sous ses coups de bride, j’ai trainé ses herses, j’ai tiré ses charrues, j’ai porté ses fardeaux. Crois-tu qu’il m’en a été reconnaissant ? Je lui ai donné plus de dix poulains qu’il maltraita tout autant que moi. Puis dès lors qu’il me jugea trop vieille, il tenta de m’abattre car je n’avais plus rien à lui apporter. Par chance, j’ai réussi à fuir et j’erre ainsi depuis à travers bois et forêts. Mais crois-moi, le loup dit vrai : rien ne s’oublie plus vite qu’un service rendu ! – Ah ! Voilà une jument sensée ! s’écria le loup qui avait faim. Ta chance est passée, cher ami. Maintenant tu es à moi ! L’animal se lécha les babines, dressa ses oreilles et sauta sur le pauvre homme.

– Attends ! Attends ! cria le paysan. Je t’en prie, donne-moi une seconde chance ! L’homme supplia, implora, conjura le loup de ne pas le manger tout de suite. A force de prières, le paysan finit par obtenir gain de cause. Le loup accepta et ils reprirent leur route. Sans plus tarder, ils rencontrèrent un vieux chien errant, aux poils hirsutes et au corps maigre. Le paysan s’empressa d’aller lui exposer la situation dans laquelle ils se trouvaient. Le chien n’hésita pas une seconde et répondit : – J’ai vécu toute ma vie auprès d’un maître dont j’ai gardé la maison jour et nuit. J’ai veillé sur ses troupeaux de moutons, les jours de chaleur harassante ainsi que ceux où la neige et le froid glaçaient mes pauvres pattes. Pourtant, lorsque la vieillesse s’est emparée de moi et que ma course est devenue trop lente, il m’a chassé. Depuis, j’erre à travers les villages et les campagnes pour me nourrir et m’abriter. Tu vois, le loup a dit vrai : rien ne s’oublie plus vite qu’un service rendu ! – Ah ! Encore un qui parle juste ! Conclut le loup affamé. Tu ne peux plus fuir, pauvre homme ! Je n’ai plus qu’à te manger ! Aussitôt dit, l’animal s’élança d’un bond sur le paysan qui s’écria : – Attends ! Attends ! Laisse-moi une dernière chance ! Je t’en supplie ! Tu ne le regretteras pas !

Le loup finit par écourter une nouvelle fois les prières du pauvre homme et lui accorda une troisième occasion d’échapper à ses griffes : – Tu n’en auras pas une de plus ! déclara l’animal fermement. J’ai grand-faim et il me tarde de te goûter…. Une renarde, à l’allure légère et au port altier, venait justement à leur rencontre. Le museau arrogant et la queue fière, elle écouta l’histoire que lui raconta le pauvre homme. Le paysan avait à peine terminé son récit que la renarde rétorqua : – Ton histoire m’étonne, l’ami ! Tu dis que ce grand loup, aux pattes longues et au corps puissant, est entré dans le petit sac de toile que tu portes sur l’épaule ? – Assurément, répondit le paysan. Le loup te le dira lui-même. L’animal jura qu’il disait vrai et que l’histoire s’était bel et bien déroulée ainsi. Pourtant, malgré toute la bonne foi du loup et de l’homme, la renarde ne crut pas leurs propos.

– Eh bien, s’il en est ainsi, prouvez-le-moi ! S’exclama-t-elle. Ni une, ni deux ! Le loup bondit dans le sac du paysan pour lui montrer clairement qu’il disait vrai. – A présent, dit la renarde au paysan, montre-moi comment tu as fait pour fermer ton sac. L’homme s’empara du lien et le noua fermement. – Fort bien ! Continua la renarde satisfaite. Et maintenant, montre-moi comment tu bats ton blé lorsqu’il est dans ton sac !

Le paysan s’empara aussitôt de son bâton de bois et se mit à taper rageusement sur le sac. Le loup qui se trouvait à l’intérieur, hurlait et se tordait de douleur. Assise aux côtés du paysan, la renarde assistait à ce cruel spectacle avec délectation. Elle riait encore de la naïveté du pauvre loup et se félicitait de sa ruse. Mais soudain, alors qu’elle ouvrait largement la gueule pour laisser échapper un grand éclat de rire, l’homme souleva son bâton avec rage et alla heurter violemment la tête de la renarde. Assommée, la petite arrogante tomba d’un coup sur le sol et mourut.

Le paysan se retourna et se dit en lui-même : le loup avait dit vrai : rien ne s’oublie plus vite qu’un service rendu !


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